J'y vais mais j'ai peur
Cela ne t'aura pas échappé, lecteur informé, en ce moment un événement capital mobilise les médias. Non pas la grève SNCF. Ni le mondial de foot. Mais enfin, lecteur, tu le fais exprès? Je te parle du bac bien sûr! Si, tu sais, cet examen sanctionnant la fin des études en lycée et que 85% des candidats obtiennent.
Comme chaque année, les journaux télévisés ont fait leur sujet sur la fameuse "épreuve de philo", avec interview d'élèves transpirants d'angoisse avant l'examen, et en ressortant au choix 1) en larmes "j'ai complètement foiré, ça y est, c'est sûr, j'ai raté mon bac/ma vie"; 2) un peu trop sûr de soi "j'ai trop déchiré, j'ai casé Schopenhauer et son mythe de la caverne et le "Je pense donc je suis " de Voltaire"; 3) sobrement satisfait "oui, bon, rien de rare dans cette épreuve. En se fondant sur Nietzsche, Kant et Hegel, on faisait un plan en 3 parties tout à fait classique." Cette année, petit suspense supplémentaire (merci la SNCF): les candidats vont-ils arriver à l'heure (ou tout court) à leur épreuve? La grève des cheminots va-t-elle remettre en cause la validité de l'examen, si tous les candidats ne sont pas sur un pied d'égalité?
Nous avons donc eu droit à du grand journalisme d'investigation avec infiltration dans une famille qui se lève à 5h du matin pour accompagner en voiture le candidat tout nerveux et éviter les bouchons. Gagné! A 6h12, il est devant la grille (fermée) de son centre d'examen et devra patienter 2 heures à se ronger les ongles avant l'épreuve (mais au moins il y est). Moins de chance pour cette candidate peu prévoyante qui arrivera avec une heure de retard à son examen (mais c'est pas grave, hein, elle aura une heure de plus pour composer).
Mais la grande nouveauté de cette année, c'est cette pétition qui circule sur les réseaux sociaux depuis quelques jours (non, je te mets pas le lien, tu vas quand même pas aller la signer!). Apparemment, certains élèves de Terminales S ont trouvé leur épreuve de maths trop difficile. Et celle de physique-chimie aussi. Ainsi que celle de SVT. Ah, et on me souffle dans l'oreillette que l'épreuve d'anglais était anormalement difficile elle aussi. Apparemment, les questions faisaient bien partie du programme mais étaient formulées de façon différente que d'habitude et, surtout, ô injustice insupportable, n'étaient pas tout à fait au même format que ce sur quoi les élèves s'étaient entraînés toute l'année.
Tu me diras, je ne suis pas prof de maths, comment je peux savoir, moi, si les questions sont plus ou moins difficiles. Certes. Ce que je sais par contre c'est que:
- les sujets sont élaborés par des profs. Qui enseignent. Qui sont donc au courant du niveau de leurs élèves. Qui sont relus et corrigés par d'autres profs afin d'aboutir à un sujet équilibré. Donc à moins d'être tombé sur une équipé de sadiques (ce qui reste possible), y a pas de raison que la session 2014 soit plus infaisable que celle de 2013.
- tout le programme peut être sujet d'examen. Même les points qui semblent insignifiants ou moins importants. Cela dérange certainement ceux qui font des impasses sur certains aspects du programme, mais on ne peut pas faire de prédictions sur ce qui tombera ou tombera pas. Donc mieux vaut tout réviser.
- un sujet, ça se lit, ça s'analyse et ça se comprend. Avant de se jeter sur son stylo pour rédiger directement une réponse sur sa copie, il faut lire la question. La relire et s'assurer de l'avoir bien comprise. Oui, même en sciences. Et si la question est un peu alambiquée, ou pas claire, alors on la retourne dans tous les sens, on se creuse le ciboulot, on réfléchit, au lieu de jeter l'éponge au bout de 5 minutes en décrétant que "pfff, de toutes façons, ça veut rien dire, c'est trop dur". Ce n'est pas la question qui est trop dure, c'est l'élève qui manque de persévérance. Mais il est tellement plus facile de rejeter la faute sur le sujet plutôt que de se remettre en question. Tellement plus facile d'aller râler sur Facebook et de signer une pétition numérique que de se dire qu'on aurait pu passer un peu plus de temps à travailler qu'à poster des photos de chatons bourrés sur le ouèb.
Je vois déjà la levée de bouclier des bons élèves qui estiment avoir travaillé comme des fous toute l'année et qui trouvent, eux aussi, que les sujets étaient trop durs. J'entends leurs récriminations mais là aussi, je ne suis pas d'accord. A force d'entendre que le bac est donné, que tout le monde l'a du premier coup sans trop faire d'effort, on en vient à déduire qu'il DOIT être facile et ne poser aucune difficulté. Vous avez travaillé dur toute l'année? ENCORE HEUREUX! Comme si c'était un exploit alors que c'est juste ce que vous êtes censés faire! Vous avez trouvé les questions difficiles malgré tout le travail fourni? Et alors? Ca arrive de sécher sur un sujet alors qu'on se sentait bien préparé. Ca s'appelle la vie et elle n'est pas toujours juste. Mais ne vous inquiétez pas, cela ne vous empêchera pas de l'avoir votre bac. Voire votre mention. Les consignes de correction données aux examinateurs sont si laxistes que c'en est à se demander pourquoi on s'emmerde à corriger autant de copies (un jour je te raconterai comment ça se passe, un jury de bac).
Alors effectivement, si personne n'est content (les élèves parce que c'est "trop dur", et les profs parce que c'est "trop facile"), pourquoi continuer à s'infliger ce rituel chaque année?
On nous rabâche que c'est un examen coûteux et qui empiète sur tout le mois de juin. Certes. Mais il a le mérite d'être égalitaire. La même épreuve pour tout le monde. L'anonymat des copies garanti. Une correction par des professeurs qui ne connaissent pas les élèves. On ne peut pas en dire autant du contrôle continu, alternative présentée comme idéale par certains. Plus d'examen stressant, plus de logistique compliquée, de coûts exorbitants, de risques de fuites des sujets. Mais aucune équité non plus! Autant de sujets que d'établissements (voire de classes), donc aucune garantie que le niveau d'exigence soit le même partout sur le territoire. Des correcteurs trop proches de leurs élèves, et potentiellement incités par la hiérarchie à bien noter (pour le classement de l'établissement) et potentiellement soumis à des pressions de la part des élèves ou de leurs familles (quand on voit que les étudiants en master n'hésitent pas à venir marchander leur note…). Bref, autant enterrer toute idée d'examen de fin de lycée, ce sera plus honnête intellectuellement.
Personnellement, je pense qu'il faut conserver le bac (en en réformant certains aspects, notamment les langues, mais c'est un autre et vaste sujet). Cela reste un grand moment dans la vie scolaire de tous. Un de ces jalons qui marquent la vie. Qui vont nous aider à nous construire, même si on ne l'a pas. Parce qu'il nous pousse à nous poser des questions: ai-je assez travaillé? Qu'est-ce que je veux faire avec ce bac? et si je ne l'ai pas, quelle direction vais-je prendre?
Le bac est un rituel. Quasi initiatique. Le seul moment dans la scolarité (je mets de côté le brevet des collèges) où toute une génération d'élèves se mobilise autour d'un examen qui les fera passer à l'âge adulte. Qui leur ouvrira la porte des études supérieures s'ils souhaitent en faire. Qui les obligera un peu à travailler. Qui leur apprendra à gérer leur stress, à organiser leur travail sur plusieurs mois, à réviser régulièrement (dans l'idéal, hein, on sait que ça bachotte à fond sur les 3 dernières semaines en espérant que ça passe), à travailler plusieurs matières en même temps, à appliquer des méthodes de travail. Bref, à s'entraîner pour la vraie vie d'après. Celle où personne ne vous tient par la main pour vous dire quoi faire et comment le faire.
On a tous des souvenirs de notre propre bac. Perso, je ne me remets toujours pas de mon 8/20 en hisoire alors que j'avais 14/20 de moyenne toute l'année. Je me souviens encore de mon oral d'anglais et du sujet de philo. Et je me rappelle du jour des résultats, du stress parce que même si on pense avoir réussi, on ne sait jamais, et de la délivrance de voir mon nom sur la liste des reçus avec mention (assez bien si tu veux tout savoir). Et toi, lecteur, quels sont tes souvenirs de bachelier?
PS: Ah oui. J'ai jeté un coup d'oeil au sujet d'anglais. Et là, gros LOL. Difficile???!!! Bateau, très certainement! Galvaudé, convenu, classique, chiant à mourir, possible également. Mais difficile, il faut arrêter 5 minutes. Déjà, parce que le sujet de langue est commun aux 3 séries générales (S, ES et L) et que, bizarrement, aucune pétition ne circule chez les ES et les L pour se plaindre de cette épreuve. Et deuxièmement, même les questions sont formulées avec des termes complètement transparents afin d'être sûr que tout le monde comprenne bien (genre la question 1 où est utilisé le terme "voyage" plutôt que "trip" ou "travel", des fois que ce serait trop incompréhensible…).