Et bon courage, hein!
Je suis une personne extrêmement polie. Mes parents m'ont toujours appris à dire "bonjour madame", "au revoir monsieur" (pas à la même personne bien sûr), à demander poliment et à remercier avec la même courtoisie. Résultat, je suis tellement bien élevée que je demande pardon à la porte quand je la prends dans la tronche et que je m'excuse lorsqu'on me bouscule.
On peut dire que je suis rodée en matière de formules de politesse. Certaines m'énervent prodigieusement, comme le serveur qui te répond "s'il vous plaît" quand tu lui dis "merci" ou qui te tend la note en lançant un irritant "en vous remerciant". Note que l'absence totale de "bonjour/au revoir" quand tu rentres dans une boutique de fringues à l'art de m'agacer tout autant. Il est vrai qu'il est impoli d'interrompre une conversation mais se prendre un vent par des vendeuses qui n'ont même pas entendu ta salutation tellement elles sont occupées à biatcher sur leur boss, c'est un peu vexant.
Mais ce matin, en allant chercher mon pain, je dois dire que j'ai été un peu surprise par la dernière formule à la mode. Alors que je venais de remercier la boulangère après l'avoir payée (oui, je t'ai prévenu, je suis dingue, je dis merci alors que c'est MOI qui paye, genre "merci de me prendre 1,20 Euros pour cette tradition qui m'a l'air fameuse"), celle-ci me congédie d'un "et bon courage, hein!"
Je l'ai regardée, ma baguette à la main, me demandant bien à quel moment j'allais avoir besoin de courage. Son pain était-il déjà rassis que je risquai de me briser les chicots sur le crouton? Mon visage exprimait-il un désespoir quelconque laissant penser que j'allais en finir avec la vie une fois la-dite baguette consommée?
La première fois qu'une personne m'avait dit "bon courage" au lieu de "bonne journée", c'était dans mon lycée ZEP. La jeune femme qui tenait l'accueil du lycée (et faisait les photocopies/gérait les entrées et sorties des élèves/faisait office de surveillante) nous lançait ses encouragements à chaque fois que l'on passait dans sa loge pour récupérer nos photocopies ou simplement papoter. Là, je pouvais comprendre pourquoi le terme "courage" était approprié. Il en fallait pour gérer pendant toute une après-midi les humeurs d'une Fofana fraîchement larguée par Régis ou l'envie de foutre le bordel d'un Jean-Kévin désoeuvré.
Mais j'ai l'impression qu'aujourd'hui, ce "et bon courage, hein!" résonne comme un clin d'oeil désabusé et légèrement dépressif. Comme si souhaiter à quelqu'un une bonne journée ne suffisait plus. Eh oui c'est la crise ma bonne dame, alors il faut du courage. Pour affronter la journée, pour aller bosser, pour supporter les heures de pointe dans le métro, les crottes de chien sur le trottoir et l'incivisme ordinaire.
Cela donne un petit côté tristounet je trouve. La journée n'a aucune chance d'être "bonne", donc pas la peine de le souhaiter. Le mieux que l'on puisse espérer est d'avoir assez de courage pour y survivre.
Bon ok, ma boulangère est clairement dépressive. Mais cela m'a donné matière à réflexion. Imaginons certaines situations où souhaiter à quelqu'un du courage pourrait être mal interprété.
L'esthéticienne, juste avant d'arracher sa bande de cire.
Le chirurgien, avant de t'opérer de ta myopie.
La sage-femme, quand tu arrives à la maternité pour accoucher.
Le pédiatre, quand il diagnostique un RGO à ton bébé.
Le dentiste, avant d'attaquer son détartrage.
Le mec bourré qui sort des ouatères du restaurant alors que tu attends ton tour en te dandinant.
Le gars de la sécu, quand tu lui expliques que tu as changé d'académie et qu'il faudrait faire suivre ton dossier.
La prof de fitness quand tu lui annonces ton objectif: avoir des muscles là, là et là et moins de gras ici, ici et là.
Le boss de Tendrépoux quand il lui dit qu'il faudra encore qu'il bosse dimanche. Ah non, pardon, il ne lui souhaite rien lui, il trouve ça normal.
Moi, aux autres passagers du vol 757 pour Farf araway, quand j'entrerai dans l'avion avec Mamerveille, 20 mois, pour un vol de nuit de 12h.
Mais bon. Comme je suis très très polie, je pense que les gens seront plus gênés par mes excuses incessantes ("Désolée, hein! Je pensais pas qu'elle vous vomirait dessus") que par les insomnies de Mamerveille.
Sur ce, cher lecteur: bonne journée et bon courage hein!